15/01/2018 - Reportages

par etienne visart

aircraft Bugatti 100p

Ettore Bugatti et l’aviation

C’était il y a tout juste huit ans. L’exposition Bugatti s’installait à Autoworld pendant un mois. Parmi les milliers de visiteurs, rares sont ceux qui ont vu la maquette au 1/5, réalisée par Dominique Mathern, d’un avion bleu, la couleur-fétiche d’Ettore Bugatti. Ce dernier a en effet conçu, en 1938, un avion dont des fanatiques terminent la construction de la réplique...

par etienne visart

aircraft Bugatti 100p

Ettore Bugatti et l’aviation

C’était il y a tout juste huit ans. L’exposition Bugatti s’installait à Autoworld pendant un mois. Parmi les milliers de visiteurs, rares sont ceux qui ont vu la maquette au 1/5, réalisée par Dominique Mathern, d’un avion bleu, la couleur-fétiche d’Ettore Bugatti. Ce dernier a en effet conçu, en 1938, un avion dont des fanatiques terminent la construction de la réplique...

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C’est historiquement le 15 décembre 1909 qu’Ettore Bugatti, Italien d’origine, s’installa en Alsace, à Molsheim, pour lancer la fabrication de ses propres voitures. La première, le Type 13, sortira de ces anciens bâtiments d’une teinturerie dès la fin du mois de janvier 1910. Pourtant, Ettore Bugatti n’a pas réalisé que des voitures de course pour les grands prix ou les courses d’endurance ni de sport ou de grand tourisme pour des clients fortunés. Au milieu des années vingt, l’industrie automobile est en plein essor et, si on reconnaît alors à Ettore Bugatti son talent de créateurs, on lui reproche son irréalisme commercial. Quand éclate la grande crise bancaire et financière à la fin de l’année 1929, il est en effet concentré sur des réalisations prestigieuses ou sportives. Rejoint progressivement par son fils Jean auquel il confie la gestion quotidienne de l’usine, Ettore Bugatti va se lancer, dès 1937, dans un projet encore plus fou, le 100P, un avion de course expérimental.

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Ettore Bugatti a toujours eu le nez fin pour dénicher les meilleurs et les plus talentueux ingénieurs dans les différents domaines qu’il veut explorer, où il veut innover.

De la route à l’air en passant par le rail

Ce n’est pas le premier contact d’Ettore Bugatti avec le monde de l’aviation, puisque peu de temps avant la fin de la Première Guerre mondiale, il avait conçu un moteur d’avion de 16 cylindres en deux rangées de huit pour l’aviation française avant d’en vendre la licence à l’aviation américaine. La fin du conflit ne permit pas à ce projet de se développer davantage et Ettore Bugatti délaissa ce milieu qu’il connaissait peu, hormis via son amitié avec Roland Garros décédé trop tôt, en octobre 1918. L’échec commercial de la Bugatti Royale (Type 41) le rend par ailleurs assez amer. Le moteur de la Royale va pourtant sauver l’entreprise de la faillite après la crise financière et bancaire d’octobre 1929. Ce bloc à 8 cylindres en ligne de 12,7 litres est en effet placé par paire de 2 blocs dans le célèbre autorail Bugatti capable d’atteindre une vitesse de pointe de 172 km/h en mars 1933 avant d’assurer la liaison entre Paris et Deauville. Trois autres exemplaires seront livrés à l’Etat Français en 1934, cinq en 1935 et 88 au total. Quelques bateaux prestigieux seront équipés également de moteurs Bugatti, mais ce n’est pas un élément marquant dans l’histoire. Alors que son fils Jean poursuit le développement de la gamme des voitures, Ettore Bugatti s’ennuie et cherche un nouveau défi. Ce dernier se présente grâce à la Coupe Deutsch de la Meurthe qui doit se dérouler en 1938 pour battre le record du monde de vitesse dans les airs. Les connaissances d’Ettore Bugatti dans ce monde très particulier sont cependant très limitées, mais l’industriel et inventeur italien (il n’obtiendra la nationalité française que peu de temps avant son décès en août 1947) a toujours eu le nez fin pour dénicher les meilleurs et les plus talentueux ingénieurs dans les différents domaines qu’il veut explorer, où il veut innover.

Ettore Bugatti se met alors en quête du meilleur spécialiste de l’époque pour réaliser son avion de course pour lequel il a reçu des capitaux de l’Etat français pour le financer. C’est en Belgique qu’il va le trouver, à Nessonvaux plus précisément, chez Impéria. Fondée à Liège par Adrien Piedbœuf en 1904 et installée à Nessonvaux dès 1907, la marque belge est reprise après la Première Guerre mondiale par Mathieu van Roggen qui décide de lui donner un nouvel essor en produisant des voitures plus légères et moins coûteuses. Et il engage en 1925 un nouvel ingénieur de recherche en chef, le vicomte Pierre Louis de Monge de Franeau, qui sera débauché en 1937 par Ettore Bugatti.

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Un brillant ingénieur belge !

Un peu plus jeune qu’Ettore Bugatti (9 ans), Louis de Monge est l’un des plus brillants ingénieurs belges de la première moitié du vingtième siècle, mais il est presque totalement inconnu, son nom n’étant associé qu’au projet avorté de l’avion Bugatti-De Monge 100P. Sa première réalisation importante date du début de la Première Guerre mondiale, lorsqu’il conçoit une hélice d’avion un peu différente de ce qui se faisait d’habitude à l’époque. Louis de Monge la met en production et va en vendre environ 40.000 unités à l’Etat français pour ses avions de chasse destinés à affronter ceux de l’aviation allemande. Après la guerre, Louis de Monge produit des avions monoplans de type parasol pour la société familiale Buscaylet, dans la région parisienne. Ayant ensuite conçu des ailes volantes à deux moteurs, il en cède les droits à la division aéronautique de la société Dyle et Bacalan, une entreprise spécialisée en travaux publics née de la fusion des Ateliers de la Dyle de Louvain et de la Société des chantiers de Bacalan installée à Bordeaux. Il va collaborer pendant quelque temps avec elle pour tenter de développer un gros bombardier transatlantique, mais il la quittera pour rejoindre Impéria en 1925, un an avant que le seul exemplaire du DB-10 construit effectue son premier vol. Pendant 12 ans durant lesquels il va inventer, notamment, des transmissions automatiques, des systèmes de freinage et des suspensions à barre de torsion, Louis de Monge va seconder Mathieu van Roggen qui crée un grand consortium pour faire face à la concurrence des constructeurs étrangers, mais c’est une autre histoire. Alors qu’Ettore Bugatti a la réputation d’avoir un caractère autoritaire et difficile, Louis de Monge entretient d’excellentes relations avec lui et, surtout, avec son fils Jean.

Le développement de l’avion de course 100P évolue très rapidement en fonction des moyens de l’époque. Le premier travaille sur la partie mécanique avec deux moteurs à 8 cylindres en ligne de 4,7 litres (450 ch chacun) montés l’un derrière l’autre de façon décalée, l’un vers la droite, l’autre vers la gauche. Une paire d’hélices contrarotatives est entraînée par des arbres de transmission qui passent de chaque côté sous les bras du pilote ainsi qu’un jeu d’engrenages placé à ses pieds. Le second s’occupe de la partie aéronautique en s’écartant des habitudes de l’époque dans ce domaine. Par exemple, les ailes sont en forme de flèche inversée, le cockpit est intégré dans le fuselage avec une verrière fixe parfaitement profilée et de nombreux procédés innovants sont appliqués pour réduire le poids de l’ensemble. Surprenant les quelques rares personnes qui ont l’occasion de le voir par ses audaces, l’avion n’est cependant terminé qu’en septembre 1939 et ne volera jamais...

De France aux Etats-Unis

Deux événements vont en effet mettre un terme à ce formidable défi. Le 11 août 1939, Jean Bugatti meurt dans un accident sur une route du côté de Duppigheim, petite commune d’Alsace, en faisant l’essai de la Type 57C, victorieuse des 24 Heures du Mans quelques semaines plus tôt. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne, provoquant l’entrée en guerre officielle de toutes les autres grandes puissances européennes et le début de la Seconde Guerre Mondiale. Sur ordre de l’Etat français, l’avion Bugatti-De Monge 100P est démonté et caché dans une dépendance du château d’Ermenonville, une petite commune située à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Paris. Après la guerre, Ettore Bugatti est ruiné et se bat pour récupérer son usine annexée par les nazis de 1940 à 1945 et saisie par l’administration française à la libération. Épuisé, il décède des suites d’une congestion cérébrale le 21 août 1947.

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Quant à Louis de Monge, privé de ses mentors, il est envoyé aux Etats-Unis par la France pour analyser l’industrie aéronautique américaine. Travaillant comme consultant pour plusieurs sociétés américaines, il restera aux Etats-Unis jusqu’à son décès en 1977, à l’âge de 87 ans, mais un journaliste américain l’aura emmené deux ans plus tôt dans le Wisconsin, pour revoir son avion. Cette ville modeste (± 66.000 habitants) du comté de Winnebago est renommée pour son université et, surtout, pour son musée de l’EAA (Experimental Aircraft Association) qui a reçu, en 1996, les « restes » de l’avion 100P conçu par Bugatti et de Monge. Et il a été complètement remis en état

À défaut de voler, l’avion 100P voyagea beaucoup avant cela. Les caisses qui contiennent ses pièces ne sont déballées qu’en 1960 au château d’Ermenonville et sont acquises par Serge Pozzoli, ancien pilote de course, collectionneur, fondateur de plusieurs revues et créateur de plusieurs associations et de plusieurs événements. Le musée de l’air du Bourget et les frères Schlumpf ne manifestent aucun intérêt pour cet avion en pièces détachées. L’aviateur français Jean-Baptiste Salis se porte acquéreur par passion pour la restauration d’anciens avions, mais il décède en décembre 1967 et ses enfants le vendent à un collectionneur américain, Ray Jones, en 1970. Ce dernier n’est intéressé que par les 2 moteurs Bugatti et cède, en 1971, l’avion au docteur Peter Williamson. Considéré comme le plus grand collectionneur de Bugatti de tous les temps, cet expert de renommée mondiale en neurologie et en épilepsie entame alors une longue et coûteuse restauration en collaboration avec les frères Lefferts jusqu’en 1979. Peter Williamson offre alors l’avion à l’Air Force Museum Foundation qui, après l’avoir brièvement exposé, le range au fond d’un entrepôt pendant une quinzaine d’années avant de s’en débarrasser en l’offrant au musée de l’Experimental Aircraft Association.

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Le rêve bleu tourne au cauchemar

C’est là que Scott E. Wilson, ancien pilote de l’US Air Force, puis pilote de l’aviation civile et consultant pour de nombreuses compagnies du secteur aéronautique, le découvre et décide de lancer le projet « rêve bleu ». L’objectif est de construire une réplique identique de l’avion Bugatti-De Monge 100P (sans les moteurs Bugatti, trop chers !) et de le faire voler en Europe dans le courant du printemps 2015 après plusieurs années de travail et un investissement supérieur à un million d’euros jusqu’à ce moment. Pour l’atteindre, Scotty Wilson avait réuni autour de lui des spécialistes dans de multiples domaines en provenance du monde entier, parmi lesquels Ladislas de Monge, l’un des petits-neveux de Louis, créateur, styliste et artiste utilisant essentiellement des matériaux naturels. Et l’on retrouvait aussi Dominique Mathern, auteur de la maquette exposée à Autoworld. Ne bénéficiant pas de supports de grandes entreprises du monde de l’automobile ou de l’aviation, le projet ambitieux de Scotty Wilson et de son équipe avait par contre suscité un enthousiasme énorme dans plus de 35 pays. Il avait reçu des dons de plus de 600 personnes et bénéficiait du soutien moral de plus de 20.000 visiteurs par semaine (le record est de 60.000 personnes !) sur sa page Facebook (www.facebook.com/TheBugatti100pProject) où l’on pouvait suivre tous les jours l’évolution du travail de son équipe. Le premier vol était prévu en avril 2015. Scotty Wilson avait même espérer pouvoir présenter et faire voler le Rêve Bleu à Paris, à l’occasion du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace, du 15 au 21 juin 2015. Et l’objectif final était d’exposer en permanence le rêve bleu en Alsace, là où sont nées et naissent encore les Bugatti... Le premier vol, très court, ne se déroulera finalement que le 19 août 2015, à partir du petit aéroport de Burns Flat, près de Tulsa, en Oklahoma, aux Etats-Unis, là où l’avion avait été patiemment construit depuis le début du projet. Un deuxième vol d’essai, toujours assez court, a lieu quelques mois plus tard, toujours au même endroit, Scotty Wilson ayant placé de minuscules caméras à différents endroits pour filmer les réactions des pièces en vol. Avant d’envoyer l’avion dans un musée en Grande-Bretagne, Scotty Wilson veut faire un dernier vol aux commandes de son « rêve bleu ». Nous sommes le samedi 6 août 2016, toujours à Burns Flat, il est 8h20 et Scotty Wilson décolle sans le moindre problème. À peine une minute plus tard, au terme d’un long virage sur la gauche, l’avion plonge d’un coup vers le sol, s’écrase et prend feu. Une partie de l’équipe embarque dans un hélicoptère, les autres dans toutes les voitures qu’ils peuvent trouver pour foncer vers la colonne de fumée, mais personne ne peut plus rien pour l’avion ni, surtout, pour Scotty Wilson, décédé sur le coup. Le rêve bleu se termine en cauchemar pour sa famille et ses amis… Après un an de silence, ces derniers continuent toujours à alimenter la page Facebook !

www.bugattiaircraft.com

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