WATER BORN
MASERATI 150S & "Maria Luisa IV" bateau de record du Monde
Pendant l’hiver 1954-1955, les ateliers de l’Officine Alfieri Maserati à Modène sont en pleine effervescence avec la réalisation du projet Tipo 53.
Son objectif est de produire une série de voitures de course destinée à la fidèle clientèle des gentlemen drivers attachés depuis longtemps à la marque au Trident. Les premiers exemplaires de la jolie petite barquette baptisée 150S sont livrés à partir de la fin du printemps de 1955. Les pilotes amateurs et en particulier l’intrépide Américaine Isabelle Haskell, la future madame De Tomaso, l’attendent donc avec impatience alors que la saison commence à peine. La vocation « compétition-client » de la nouvelle Maserati n’empêche cependant pas l’usine de s’intéresser de très près à son développement et à sa promotion. C’est ainsi qu’une voiture officielle est confiée au pilote maison Jean Behra qui remporte les 500 km du Nurburgring le 28 août 1955 à la surprise quasi générale devant une meute de Porsche 550. A l’occasion, sa 150S bat nettement le record du tour de plus de neuf secondes et la plupart de ses adversaires pensent alors qu’elle est propulsée par un moteur de deux litres.Cette victoire va évidemment accroître la renommée internationale de la 150S et inciter la firme à poursuivre activement ses recherches. De même, avec les 300S et 450S projetées à la même époque, la firme Maserati de l’ère Orsi entreprend clairement son retour en fanfare vers la compétition.
On se souviendra qu’à l’époque, le bureau d’étude de Maserati est une belle assemblée de talents mais avec une succession rapide des hommes à sa tête. Ces bouleversements se font au gré de certaines révolutions de palais et souvent dans un chassé-croisé avec le grand concurrent et voisin Enzo Ferrari, comme en témoigne l’arrivée de Gioachino Colombo chez Maserati en 1952. Son successeur, dès l’année suivante, a pour nom Vittorio Bellentani, lui-même remplacé dès mai 1955 à la tête du département par le fameux Giulio Alfieri. Ce dernier interviendra, certes, sur l’évolution de la 150S mais son moteur est bien une création de Bellentani inspirée du 4 cylindres 4CLT/48 des frères Maserati. À l’origine du projet, dès les premiers jours de 1954, l’ingénieur en chef de l’Officine se trouve devant la nécessité de remplacer l’A6GCS dont le constructeur, cette année-là, va terminer le championnat du monde des voitures de sport à la cinquième place.
C'est sur un lac voisin que Liborio Guidotti, en novembre 1954, avec sa coque Timossi, pulvérisa le record du monde de vitesse de sa catégorie à plus de 170 km/h.
La nouvelle voiture sera une barquette basée sur un robuste châssis tubulaire conçu en interne par Vittorio Colotti mais surtout sur un nouveau quatre cylindres de 1500 cm3 à double arbre à cames en tête. L’ingénieur Bellentani couche alors sur le papier un moteur doté de nombreux perfectionnements comme le carter sec, un bloc en aluminium avec des chemises en fonte, des chambres de combustion dotées de soupapes à 80 degrés et un double allumage. Le bloc est conçu dès l’origine pour pouvoir évoluer vers une cylindrée de deux litres et devenir les versions équipant les futures 200S et 200 Si. Le moteur de la 150S qui développe 140 ch. à l’origine pourra ainsi atteindre près de 170 ch. dans ses ultimes exemplaires de 1957. De même, dès ses expérimentations sur l’eau, le premier moteur 150S pourra-t-il supporter un taux de compression très élevé et carburer à l’alcool pour atteindre une puissance et des régimes de rotation particulièrement élevés. Dès l’automne 1954, deux de ces moteurs sont assemblés et testés au banc de la manière la plus traditionnelle. Mais, il y a bien plus. Avant même d’être monté dans le nouveau châssis pour un test routier, le premier moteur de la future 150S est installé au début du mois de novembre dans la coque en acajou d’un petit racer de la catégorie des 350 kg pilotée par un certain Liborio Guidotti. L’engin à « trois points » sort de chez Timossi, un des meilleurs chantiers de compétition d’alors. Les liens qui rapprochent suffisamment le champion motonautique, un riche entrepreneur, à la firme au Trident pour l’obtention de l’exclusivité du dernier des moteurs Maserati de course ne sont pas totalement éclaircis.
Mais, il est certain que des amitiés se sont nouées autour des plans d’eau et des circuits entre pilotes, mécaniciens et constructeurs de racers, fréquentant le même milieu des usines et des écuries automobiles privées dans une même passion pour les sports mécaniques. De plus, le projet de Liborio Guidotti a de quoi séduire : il s’agit de battre le record du monde de vitesse dans sa catégorie. Giulio Alfieri qui a débuté sa carrière d’ingénieur dans un chantier naval puis par un passage au chantier Abbate, mitoyen de chez Timossi sur le lac de Côme, n’est sans doute pas non plus étranger à la décision de confier le nouveau-né pour son baptême sur l’eau. Bien lui en a pris. Le 13 novembre, Liborio Guidotti sur Maria Luisa IV bat un record à près de 150 km/h sur le lac de Lugano, en Suisse, avant d’améliorer encore nettement sa performance à Sarnico, sur le lac d’Iseo en Italie, à plus de 172 km/h. Débute ainsi avec Liborio Guidotti et ses fils, une longue association entre Maserati et Timossi, avec plusieurs titres de champion d’Italie, d’Europe et du Monde obtenus jusqu’à la fin de la décennie suivante.
Mais, en cette fin de 1954, ce record du monde motonautique augure déjà bien des qualités de la nouvelle Maserati qui débute ses essais sur le circuit de Modène en avril 1955, un mois avant la livraison des premiers exemplaires. Cette année-là, les dix unités fabriquées sont dotées de carrosseries façonnées chez Fiandri & Malagoli, deux transfuges de la Carrozzeria Fantuzzi, alors trop occupée par ses autres programmes avec les voitures d’usine. La carrière de la 150S se poursuit l’année suivante sous la houlette de Giulio Alfieri avec une nouvelle carrosserie plus aérodynamique, testée en soufflerie à Milan et formée cette fois-ci directement chez Fantuzzi et un châssis sous-traité chez le célèbre atelier Gilco, auteur de plusieurs châssis pour Ferrari. On notera qu’aux 24h du Mans 1956, la 150S de Claude Bourillot et Henri Perroud termine 9e au classement général et 2e dans sa catégorie derrière la Porsche 550A/4 RS Coupé de von Frankenberg/von Trips. Ce résultat n’empêche pas l’usine en 1957 d’arrêter la fabrication du modèle, trop concurrencé par la 200S, après la sortie de vingt-six châssis et de quelques moteurs supplémentaires sans oublier une poignée de versions dérivées.
De retour en 1955, l’année de sa naissance, la 150S numéro 1658 est livrée neuve à Paris par l’intermédiaire de John Horace Simone, dit “le Colonel”, associé à Jean Thépenier l’importateur des Maserati en France. Elle est vendue au pilote amateur Jean-Pierre Clément qui participe à quelques épreuves avant de s’en séparer. La voiture retourne alors dans son pays d’origine et on suit sa trace dans la deuxième moitié des années 1950 entre Paris et la Sicile où elle est engagée dans la Targa Florio et le Tour de Sicile par Mennato Boffa, un excellent pilote originaire de Bénévent en Campanie. Par la suite, la voiture est signalée encore sur les routes du sud de l’Italie et participe à nombre d’épreuves régionales de l’époque avant d’être cédée à un Milanais et d’être finalement acquise par son propriétaire actuel en 1986.
Comme un clin d’oeil à l’histoire et à l’origine très particulière de ce modèle de Maserati, il semblerait que l’un des moteurs de rechange monté sur cette 150S pendant sa carrière de course ait été précisément le quatre cylindres de réserve du racer Maria Luisa IV lors de ses tentatives de record pendant l’hiver 1954-1955. Dès lors, la réunion exceptionnelle des deux machines sur le lac de Côme n’en est que plus significative soixante ans après les exploits qui marquèrent les débuts en fanfare de la 150S.
EVOLUTION DE LA 150S ENTRE 1955 ET 1957
Avant même d’avoir connu son véritable vrai baptême du feu sur la piste, la 150S change de responsable au sein de chez Maserati avec le départ de Vittorio Bellentani et son remplacement à la tête de la direction technique par Giulio Alfieri en octobre 1955. Ce dernier va faire évoluer la voiture en deux étapes principales. Dès la fin de la première saison de course, une nouvelle carrosserie plus étudiée au plan aérodynamique est testée en soufflerie à l’Institut Polytechnique de Milan avant d’être mise au point en détail et construite chez Fantuzzi. Le nouveau modèle aux ailes arrières se terminant en petits ailerons est baptisé « codine », « petites queues » en italien. Il est doté également d’un carénage complet sous la voiture. Les résultats de ce travail arrivent rapidement avec, dès le 29 janvier 1956 à Buenos Aires, une quatrième place au classement général et la victoire de catégorie de la 150S dans sa nouvelle version de l’année. Cette performance relance immédiatement les ventes de la voiture au plan international avec des commandes venant d’Angleterre, de Hollande, de Belgique, d’Italie, de France, de Suède, des Etats-Unis, d’Argentine et du Portugal. La « nouvelle » 150S est désormais livrée avec une boîte à cinq rapports et d’un différentiel ZF à glissement limité. On notera aussi que les premiers numéros datés de 1956 sont bâties sur des châssis construits chez Maserati et des carrosseries signées Fantuzzi, alors que dans le courant de la saison, les châssis seront commandés chez Gilco tandis que les carrosseries seront exécutées chez Fiandri & Malagoli. A la fin de la saison 1956, Maserati décide de retirer la 150S de son catalogue. Les derniers exemplaires de la 150S sont livrés au début de l’année 1957 sans modifications techniques majeures.
MASERATI ET LE MOTONAUTISME
Les frères Maserati ont compris très tôt le double intérêt du sport motonautique pour la promotion de leur marque. D’une part, les contraintes imposées aux moteurs en course sur l’eau sont très exigeantes par la tenue de régimes de rotation très élevés pendant de longues périodes. D’autre part, le nautisme n’est pratiqué, à l’époque, que par des personnes fortunées et souvent très en vue, une excellente publicité. De plus, la même presse à l’époque relate volontiers aussi bien les résultats sur piste que certains exploits des pilotes de racer. Ainsi, c’est avec le comte Theo Rossi di Montelera que débute, dès la fin des années 1920, une longue association de la marque au Trident avec la compétition sur l’eau. Dans les années 1950, plusieurs racers sont également équipés des dernières nouveautés venues de Modène en 4 et 6 cylindres, 150S, 200S, 300S, 3500 GT et Mistral. Mais c’est au tournant des années 1960 et pendant la plus grande partie de la décennie suivante que culmine la présence de Maserati entre les bouées. En plus de plusieurs titres en championnat d’Europe et du Monde des racers Timossi à moteur V8 450S de l’écurie du Comte Agusta, le grand industriel de l’aéronautique, Maserati obtient aussi deux records du monde de vitesse absolue dans les catégories reine des 800, 900 et 1200 kg avec le pilote et constructeur Oscar Scarpa, fondateur du chantier San Marco de Milan à la vitesse moyenne stupéfiante de 235 km/h en 1961. Une telle performance implique des pointes à plus de 260 km/h avec un moteur surpuissant mis au point personnellement par Guerrino Bertocchi dépêché spécialement par l’usine sur la base de vitesse de Sarnico, devant les actuels chantiers RAM-Riva, comme à l’époque. On notera qu’un nouveau livre baptisé « Automobili del Mare - Racing Cars of the Seas » sur l’histoire du chantier San Marco -Milano va paraître en mai prochain chez l’éditeur automobile milanais Giorgio Nada. Il relate, entre autre, cette belle aventure sportive exceptionnelle.
IMPRESSIONS AU VOLANT - Petit comparatif
Il est probablement unique dans l’histoire de la course automobile qu’un moteur ait d’abord été mis à l’épreuve sur un bateau de record. Par ses caractéristiques, le moteur de la Maserati 150S apporte des sensations et des satisfactions assez différentes, que ce soit au pilote de la voiture ou du bateau. On cite souvent la phrase de Stirling Moss décrivant la 150S comme agréable à conduire et très prévisible mais trop volumineuse et manquant cruellement « d’estomac ». On notera que l’anglais utilise le mot « tripe » pour décrire la zone où réside l’énergie vitale alors que le français monte d’un cran dans le système digestif ou bien descend dans les couches de l’anatomie et passe sous la ceinture... Aujourd’hui, le pilote de la jolie barquette rouge ne peut certainement pas dire le contraire même si le robuste châssis reste effectivement toujours aussi rassurant en matière de tenue de route quand on va taquiner la limite. Il n’en reste pas moins que le petit moteur de 1,5 litre qui tourne à haut régime et délivre des sonorités excitantes, manque à l’évidence d’un couple mieux réparti, là où on en aurait parfois besoin pour sortir plus fort de certains virages. D’une certaine manière, la même réflexion s’applique aussi au bateau comme en témoigne le propriétaire actuel de Maria Luisa IV et expert en matière de coques de course : “Il faut se rappeler que dans le bateau, il n’y a pas d’embrayage. La puissance passe directement du moteur à l’arbre de transmission et à l’hélice. Le moteur de la 150S est petit et tourne vite. Il est donc indispensable d’aller chercher le couple en restant dans les plages hautes, disons au moins entre 4500 et 9000 tours. Car ce couple est vital pour faire monter le bateau sur la surface de l’eau, mais surtout, ensuite, à l’entrée des virages où tourner le volant est comme appuyer sur une pédale de frein qui ferait plonger l’arrière du bateau dans l’eau. Le jeu consiste donc à attaquer la courbe au régime le plus haut possible pour garder le bateau à plat sans perdre de vitesse. La coque semble alors encore plus petite. Stirling Moss peut avoir dit que le moteur de la 150S n’avait pas “d’estomac” mais je peux vous assurer qu’on ne peut certainement pas dire la même chose du champion Liborio Guidotti en 1954, car il faut vraiment “des tripes” pour tirer le maximum de ce racer léger et agile”.
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